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Penser la gratuité

Vous avez dit gratuit ? Mais encore ? Est-ce la même chose un cercle de gratuité et des transports en commun gratuits ?

Pas vraiment…

D’un côté on a la gratuité au sens plein : un acte qui se suffit à lui-même et n’attend rien en retour; une libre contribution au commun, alternative à la fois au système d’échange marchand et au système de don et contre-don.

De l’autre on a le gratis, ou free : un accès libre, une dispense de payer, ce qui n’exclut pas l’arbitraire, les privilèges et les coûts dissimulés.

La gratuité, ce n’est pas une absence d’argent mais une absence d’attente. On donne ou partage parce qu’on en a l’élan, on met en circulation dans le commun, on n’attend rien de l’autre, ce qui évite d’en faire son instrument.

En cela, Ivan Illich considérait, il y a 20 ans, que la gratuité était l’alternative à l’instrumentalité, qui nous avait conduit depuis mille ans à faire de l’autre, humain ou non humain, une marchandise ou une ressource, au service de notre profit personnel. L’ère de l’instrumentalité a conduit au dévorement général de tous par tous, plus personne n’étant garant ou même soucieux du commun partagé.

La gratuité ré-ouvre ce champ du commun partagé et de la contribution singulière, incomparable et non conditionnée de chaque participant au monde.

La gratuité, une riche idée alors ?

Oh que oui ! Ainsi en témoignent les cercles de gratuité, qui permettent d’éprouver ses vertus : la gratuité libère et simplifie l’action en échappant au cadre réglementaire ; elle génère la convivialité et un autre « vivre ensemble » ; elle rééduque à l’usage en rendant sa place à l’usager, non plus consommateur passif, mais être conscient de ses besoins réels et de sa satiété ; elle crée de la richesse sans coût, en démultipliant les usages sans mise de fonds ou ressources supplémentaires ; elle fait circuler la vie ; elle acte notre appartenance au commun ; elle nous fait adopter… le cadeau du Présent.

Le paradigme marchand est fondé sur une croyance érigée en dogme : seule la production de biens en vue de leur échange sur un marché pourrait assurer notre subsistance. Le Vivant lui-même est devenue une marchandise, dans toutes ses formes – y compris la nôtre !

La gratuité renverse ce paradigme : la circulation sans contrepartie de biens et services entre libres contributeurs est génératrice d’abondance. On peut produire de nouveaux usages sans produire de nouveaux biens. Elle nous délie de la dette. Le don désintéressé nous relie sans nous lier. On n’est plus face à l’Autre, mais avec l’Autre. À la compétition, à la consommation, elle substitue la coopération, à l’intérieur d’un commun, qui libère l’échange de toute tentation de calcul ou d’obligation – au point de rendre caduque la notion même d’échange.

La gratuité est tel un torrent : l’air de rien au départ, il peut redessiner tout un paysage une fois devenu fleuve. De même, le principe de gratuité peut refonder à la source notre manière de faire société…

L’application à la sphère économique est directe : réactivation de l’économie vernaculaire (basée sur l’entraide et les besoins d’usage de la maisonnée), création d’un revenu inconditionnel sous forme d’une dotation d’autonomie locale, création de lieux resSource.

La gratuité dépasse toutefois la sphère économique : son application à d’autres champs (juridique, politique, relationnel et érotique, alimentaire…) est tout aussi féconde. Sur tous ces plans, elle œuvre à faire passer d’un échange duel à un partage dans le commun.

Mieux encore : dénuée d’attente, elle génère de la satiété, un sentiment d’abondance et plus largement de gratitude – tout advient grâce à toi, grâce à moi, grâce à nous. En cela, elle est un puissant ferment de concorde et de paix.

Ce n’est pas la moindre de ses vertus à l’heure que nous vivons… Alors cultivons la gratuité !

Pour aller plus loin, suivre ce fil vers « Gratuité » de Véronique PERRIOT aux éditions Dandelion, 2021.

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