Les lieux resSources se prêtent à la navigation de plaisance : convivialité, partages, mutualisation et entraide. Ils contribuent à voguer dans le courant du vivre ensemble. Et s’ils ne servent déjà qu’à cela, ce sera déjà pas mal.
Mais ils sont aussi, et peut-être surtout, équipés pour le large et le gros temps. Ils sont les canots de sauvetage dont notre civilisation aura besoin quand le Titanic se sera complètement échoué – les canots de sauvetage pour faire en sorte que tous, et pas seulement les riches ou les planqués, échappent à la noyade.
Ce qui se profile, c’est un monde où les ressources dont nous dépendons seront de plus en plus rares et de moins en moins accessibles. C’est un monde où les conflits pour accéder à ces ressources seront exacerbés. Et un monde dont le climat sera tellement déréglé qu’il sera de plus en plus compliqué d’anticiper des récoltes. C’est donc un monde où se multiplieront les ruptures des systèmes d’approvisionnement (électrique, alimentaire, en biens de consommation courants ou pas) dont nous sommes devenus dépendants et sur lesquels nous comptons pour notre confort, mais aussi pour notre subsistance.
Face à ce risque, nous ne sommes pas démunis. Nous pouvons mettre en place les conditions matérielles de notre résilience : assurer, localement (à l’échelle d’un village ou quartier), les besoins de subsistance de toute la population. Cela implique de mutualiser des outils, des équipements, des savoir faire, mais aussi de stocker des graines et de la nourriture en quantité suffisante pour voir venir pendant quelques mois, et de se connaître suffisamment entre voisins pour savoir qui peut faire quoi et comment oeuvrer ensemble.
C’est là la définition d’un lieu resSource.
La tentation survivaliste c’est de le faire à l’échelle individuelle. Outre que cela demande des moyens et un espace de stockage dont peu disposent, c’est une aberration de croire pouvoir s’extraire du malheur du monde – et des comportements désespérés auxquels peuvent conduire ce malheur. Nous n’assurerons pas notre survie seul contre tous, mais tous ensemble.
Le risque « humain » n’existe que si nous nous détachons du sort de notre prochain. Si nous prenons en compte nos besoins communs, les siens comme les miens, et mettons en œuvre de quoi les garantir, alors nous ne risquons rien de l’autre, bien au contraire : l’autre est un appui comme nous le sommes pour lui.
S’il demeure une certitude aujourd’hui, comme hier, c’est que nous aurons besoin les uns des autres pour nous adapter à un monde profondément transformé et sans recours à l’énergie bon marché. Et ce faisant nous aurons l’occasion de (re)découvrir que le besoin des autres n’est pas une contrainte, mais la condition d’une vie pleine, riche de rencontres et d’apprentissages, et de fêtes improvisées.
Cette « mission de service public », ou plutôt de service à la vie commune, nous seuls, citoyens, pouvons l’assurer. Inutile de reprocher aux élus l’incapacité dans laquelle ils sont d’oeuvrer aujourd’hui, efficacement, au commun. Quand bien même ils le souhaiteraient (et nombreux sont ceux qui le souhaitent) ils ne seraient pas en capacité d’agir : ils sont pris en étau entre les contraintes budgétaires, la réglementation relative aux marchés publics, le contrôle administratif et la pression sociale, de telle sorte que même le meilleur des meilleur ne pourrait agir qu’à l’extrême marge et dans des délais trop longs pour l’urgence qui est la nôtre.
C’est donc à nous citoyens de nous retrousser les manches et de faire œuvre de concorde, en allant trouver nos élus, nos voisins, pour solliciter la mise à disposition du foncier vacant, afin d’y mettre en œuvre nos lieux resSource. Cela peut aller très vite : un bâtiment vide, une association loi 1901, un bail emphythéotique, et voilà que que le foncier (bâti vacant, terres, forêts) est confié à la gestion directe d’un collectif de citoyens, mu par une mission de « service commun ». Pas de vente possible, préservation des biens confiés, pas d’appels d’offre à réaliser ou d’enquête publique : nous avons dès la signature du bail toute la liberté de mener nos activités selon nos moyens, dans le respect de la légalité, certes, mais sans passer par l’asphyxiante contrainte administrative qui étouffe les municipalités.
Faisons pour eux ce qu’ils ne peuvent plus faire pour nous.
Réactivons les communaux, c’est-à-dire la gestion en commun du foncier municipal.
Il ne s’agit plus de vouloir être élus à la place de nos élus – pour découvrir, mandat après mandat, que nous sommes face à la même inaction, liée aux contraintes mêmes de la fonction – mais de reprendre à nos élus la gestion de notre bien commun. Et de la reprendre, non pas contre eux, mais avec eux, chacun dans sa meilleure position pour agir.
Nos lieux resSource, ainsi constitués, dans chaque village et quartier de ville, seront autant de canots de sauvetage dans lesquels toute la population sera prête à embarquer, main dans la main, si l’échouage advient et que la mer est bouillante. Nous serons des équipages prêts à prendre le large.